Loin au Nord et à l'Ouest, le royaume de France, guidé par Charles VII,
s'apprête à mettre un terme à la guerre qui l'oppose depuis bientôt cent ans
aux anglais. A quelques vingt kilomètres au Sud, Perpignan, passé du statut
de capitale de Majorque à celui de simple cité d'Aragon, fait face à la plus
importante vague épidémique de peste noire de son histoire. Piégée entre les
deux royaumes, rattachée à la France et amie d'Aragon, la petite Seigneurie
d'Opoul vit les heures les plus noires de son existence.
Auparavant déserte, la forteresse d'Opoul est offerte par Pierre III d'Aragon
en 1283 à la famille de Cornefeu pour s'être illustrée durant l'expansion du
royaume de Majorque. Bien que ne comptant que quelques centaines
d'habitants, la ville d'Opoul profite du rayonnement de Perpignan pour
prospérer et se transformer peu à peu en une Seigneurie englobant quelques
petits hameaux voisins.
En 1344, le royaume de Majorque est définitivement réintégré dans la
couronne d'Aragon, faisant perdre son statut de capitale à Perpignan. Le
Vicomté de Narbonne devient alors plus attractif que l'ancienne capitale,
délaissée par Pierre IV d'Aragon, et la Seigneurie d'Opoul, dirigée à l'époque
par Petrus II de Cornefeu, son deuxième maître, se rattache d'elle-même au
Royaume de France, ce qui pour autant ne relance pas son essors.
Dès lors, la Seigneurie s'enlise dans la sécurité, échappant miraculeusement à
la peste qui se déclare en France dès 1348 et aux jacqueries qui s'ensuivent.
La famille de Cornefeu, grâce aux bonnes relations qu'elle entretient avec le
royaume d'Aragon, parvient à maintenir la paix dans la région durant plus de
cent ans, se faisant aimer de la population locale.
Philibert IV de Cornefeu périt en 1243, mortellement blessé par une chute
de cheval, laissant les rênes de la Seigneurie à Hildéric I de Cornefeu, alors âgé de 13 ans seulement. Ce dernier, de nature paranoïaque, met l'accent sur
le développement militaire, en prévision de la fin de la guerre contre les
anglais que mène Charles VII, persuadé que celui-ci ne tardera pas à se
diriger vers le Sud et désirant être alors prêt à briller dans les batailles à venir.
Tous les habitants de la ville et un grand nombre de paysans des alentours
sont enrôlés dans des forces de réserve et entraînés autant que possibles, du
boulanger à la mère de famille. La tension monte peu à peu dans la ville
devant l'opiniâtreté que met Hildéric à constituer ses forces, mais l'Eglise
l'apaise autant que faire se peut, persuadée que les de Cornefeu sont
protégés par les Dieux en raison de l'absence quasiment totale de maladie
dans la région et de la prospérité caractérisant la Seigneurie en dépit de sa
taille réduite.
Au début de l’an 1248, les rapports avec l’extérieur se réduisent
drastiquement en raison de la peste qui continue de décimer les populations
dans les grandes villes alentours, et la Seigneurie d’Opoul se referme peu à
peu sur elle-même pour y échapper. Les quelques commerçants qui faisaient
la route vers Perpignan ou Narbonne cessent leur activité, de toute façon de
plus en plus réquisitionnés par les entraînements militaires. Il règne sur la
ville un climat étrangement mitigé de loi martiale et de bénédiction tranquille,
les réserves de nourriture et la production des paysans suffisant à tous pour
vivre en autarcie du monde.
Le 30 juin 1452, Hildéric semble pourtant pris d'une violente crise de
paranoïa et déclare qu'un nécromancien se serait réfugié dans une grotte à
quelques kilomètres au nord du château. Il contraint la totalité des habitants
à prendre les armes, les enfants comme les femmes allaitant, n'épargnant que
les nourrissons incapables de se déplacer, et les fait marcher sur
l'emplacement présumé du repère. Quelques uns de ses gens fuient, mais la
plupart d'entre eux, menacés d'excommunication par l'Eglise et n'ayant
jusque là jamais eu à se plaindre de ses décisions, décide d'obéir, persuadée
de ne trouver qu'une grotte vide, après quoi la vie pourrait reprendre son
cours. Hildéric seul reste au château, sa crise l'ayant lui-même contraint à
l'immobilité dans la salle principale.
Au matin du premier juillet, le soleil se lève sur des centaines de cadavres
mutilés.